En 1851, quelques années après la naissance de la photographie, une commande publique est lancée envers ce nouveau médium. Les historiens l’ont par la suite surnommé “la mission héliographique”. A cette époque, la photographie est difficilement perçue comme une pratique artistique à part entière. Elle est encore très récente, et même souvent critiquée par de nombreux peintres. Mais la Commission des Monuments Historiques, alors à ce moment presque aussi récente que la photographie, se rend à l’évidence et trouve un intérêt à cette nouvelle forme de représentation.
En plein travail de référencement des monuments français, la photographie s’impose comme un moyen d’enrichir l’inventaire de la Commission et de garder une trace des différents monuments. C’est ainsi que sont missionnés 5 photographes chargés de capturer une liste de monuments remarquables voués à être restaurés.
Le résultat de cette mission, analysée par des regards contemporains, laisse aussi apparaître plusieurs formes d’esthétisme propres à chaque photographe. Cet aspect, à la livraison de la mission, fut totalement laissé de côté par la Commission. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ce travail tomba dans l’oubli jusqu’à la moitié du 20e siècle, non sans déception pour les photographes.
A partir des années 1980, on note un regain d’intérêt pour ces tirages et surtout une volonté de relancer ce type de missions. Il s’agit comme en 1851 de faire l’inventaire du paysage français, mais désormais la valeur artistique du travail des photographes est davantage mise en avant. La photographie en tant qu’art ayant parcouru un bout de chemin depuis.
Aujourd’hui, nous revenons sur 3 de ces missions photographiques.
La Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale fête ses 20 ans en 1983. Fondée par De Gaulle, cet organisme prépare, impulse et coordonne les politiques d’aménagement du territoire menées par l’État. A cette occasion, un projet de « photographie de la France de 1983 » est mis en place.
Cette mission bénéficie d’une grande vocation artistique. Son objectif est simple : permettre à de nombreux photographes d’exprimer leur vision du paysage français sous un angle singulier. Le terme de “mission” n’a rien d’anodin. C’est évidemment une référence à la Mission Héliographique mais il fait aussi écho à une commande institutionnelle. C’est à dire qu’on retrouve dans ce projet la contrainte de fournir un travail aux services publics alliée à une certaine liberté de création.
La notion de paysage n’est pas anodine non plus. Pendant ces années, les préoccupations environnementales commençaient à prendre de l’ampleur. La France entrait dans une ère post-industrielle et les trentes glorieuses touchaient à leur fin.
Initialement, cette mission devait ne durer qu’une seule année et regrouper le travail de 15 photographes. Finalement, elle durera jusqu’en 1988 avec la participation de 29 photographes. Parmis eux, des grands noms de la photographie tels que Baltz, Basilico, Depardon, Doisneau, ou encore Koudelka.
Une présentation plus détaillée du projet se trouve ici.
Initié en 1991, ce projet se veut plus local. En effet, il a pour objectif de mettre en relation des photographes et des acteurs locaux de la protection, de la gestion ou de l’aménagement du territoire. Ensemble, ils sont chargés de choisir une quarantaine de points de vue et de les photographier.
Seulement, il ne s’agit pas seulement de les photographier une fois comme c’ était le cas dans la Mission de la DATAR. L’enjeu de cette campagne est d’instaurer une notion d’évolution et de transformation du territoire. Tout comme on ferait un bilan régulier et ponctuel d’une expérience scientifique, les mêmes endroits sont photographiés à différents moments de l’année. Ce processus est appelé “reconduction photographique”.
Pour la petite anecdote, c’est un des aspects de la photographie de paysage qui me passionne d’un point de vue personnel. Amusez-vous à retrouver les lieux des photographies que vous trouvez autour de vous et comparez les avec les images Google Street View !
Le temps est donc un point central au sein du propos de la commande. Cette commande est d’ailleurs toujours d’actualité aujourd’hui, officiellement toujours en cours.
Retrouvez davantage d’informations sur le site officiel
France(s) territoire liquide, c’est une mission de 4 ans réunissant pas moins de 43 photographes entamée en 2010 par Jérôme Brézillon, Frédéric Delangle, Cédric Delsaux et Patrick Messina. Je vous conseille d’ailleurs de découvrir leurs univers respectifs une fois cette lecture terminée.
On y retrouve un propos assez proche de celui de la mission citée précédemment. Notamment avec la notion d’évolution du paysage, souvent imagée par les artistes du projet comme des frontières mouvantes et en perpétuelle métamorphose. Ces frontières sont de toutes sortes : administratives, sociales, économiques, environnementales, naturelles, etc
La différence, c’est que cette mission incite ses participants à expérimenter de nouvelles choses et à aborder le thème avec des points de vue singuliers. J’ai par exemple beaucoup apprécié la série de Jérôme Brezillon qui s’est attelé à témoigner de la présence humaine même dans des endroits à première vue “naturels” tout en insistant sur sa petitesse d’une manière tout à fait adroite. Il a semé de petits indices dans ses images avec une justesse impressionnante.
Ce travail commun a donné lieu, comme la plupart des missions photographiques, à un livre remarquable que je ne peux que vous recommander. Chaque photographe nous plonge dans un univers qu’il a choisi de représenter tout en nous expliquant le pourquoi du comment de ses choix. La plupart des travaux n’ont pas vocation à mettre en avant des paysages de rêve, c’est la cohérence avec laquelle les séries sont construites qui est destinée à nous captiver. Leur force, c’est de rendre captivantes des scènes que le commun des mortels n’aurait pas forcément trouvé intéressantes.
Il existe un site officiel France(s) territoire liquide.
J’ai découvert cette méthode de travail de fil en aiguille. Au départ, je me suis intéressé à la photographie de Thibaut Cuisset, photographe qui a voué une grande partie de sa carrière au paysage. Il existe milles façons de photographier le paysage, mais une chose m’a tout de suite marqué chez lui : il ne se contente pas de photographier un paysage que la norme aurait qualifié de “grandiose”, il cherche à représenter les lieux qui lui parlent au fond de lui, ceux qui racontent une histoire. C’est ainsi qu’il a régulièrement traversé la France, à la recherche des paysages qu’on ne photographie pas nécessairement et qui dégagent pourtant une atmosphère singulière. Son travail m’a vraiment touché, d’autant plus qu’il était tout nouveau pour moi. Je venais de découvrir à quel point il était intéressant de chercher à retranscrire ce qu’on peut ressentir dans des paysages dits “communs”.
Avec un peu de recherches, j’ai trouvé l’existence de ces “missions photographiques” axées sur le territoire. Ces commandes incluent beaucoup d’aspects qui me plaisent : la notion de série, travailler sur un projet photo avec patience et rigueur, témoigner du territoire français, échanger avec d’autres photographes, mais surtout fournir un travail utile.
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